La sténose rachidienne lombaire (LSS) est une altération anatomique caractérisée par un rétrécissement du canal rachidien et du foramen des racines nerveuses. Elle est fréquemment observée chez les personnes âgées, parfois totalement asymptomatique, parfois à l’origine de douleurs et de faiblesse dans les membres inférieurs, les fesses et les cuisses, voire de claudication intermittente. Même après un examen très attentif, les décisions thérapeutiques restent délicates, en l’absence notamment de données bien définies concernant les options thérapeutiques non chirurgicales. En effet, si la prise en charge chirurgicale est bien standardisée, les traitements de médecine physique restent divers, souvent mal évalués, reposant essentiellement sur une physiothérapie active, l’éducation et les conseils d’exercices à domicile, le recours à des anti-inflammatoires non stéroïdiens.

A. Delitto et ses collaborateurs ont mené un essai multicentrique, randomisé et contrôlé afin de comparer l’efficacité de la décompression chirurgicale à celle d’un programme bien défini de médecine physique auprès de patients souffrant d’une LSS dégénérative, symptomatique et accessible à un geste chirurgical. Le critère principal de l’étude était l’évolution de la fonction physique à court terme (10e semaine) et à plus long terme (6e, 12e et 24e mois). Le diagnostic de LSS avait été porté par tomodensitométrie, selon les critères de Wiesel ou par imagerie par résonance magnétique, selon les critères de Boden. Tous les patients avaient été examinés par un chirurgien avec une grande expérience en pathologie rachidienne, étaient accessibles à une éventuelle décompression chirurgicale et avaient même donné leur consentement à un possible acte opératoire, avant toute inclusion ou randomisation. Ils présentaient une symptomatologie douloureuse avec claudication neurogène et n’avaient pas eu d’intervention antérieure sur le rachis. Etaient exclus de l’étude les sujets de moins de 50 ans, ceux avec des signes de démence grave, de cardiopathie sévère ou avec un antécédent récent de nécrose myocardique, ceux également ayant en sus un spondylolisthésis de plus de 5 mm de glissement, une fracture compressive au même site anatomique ou encore ceux atteints de cancer métastatique.

Un programme de physiothérapie bien standardisé

Le recrutement a été assuré par 5 neuro chirurgiens et un chirurgien orthopédique confirmés en pathologie rachidienne. La randomisation a été faite dans un second temps, centralisée, avec stratification en fonction du sexe du patient et du chirurgien. La décompression chirurgicale a été réalisée par un chirurgien ayant plus de 20 ans d’expérience de la chirurgie rachidienne, selon la technique de Rothman et Siméon, associant laminectomie décompressive, résection partielle des facettes et neuroforaminotomie au niveau de la sténose. Le programme de physiothérapie incluait des exercices de flexion lombaire, des pratiques de conditionnement général et une éducation thérapeutique après évaluation précise par un médecin de médecine physique qui identifiait les principales atteintes au niveau des membres inférieurs et le degré de souplesse du rachis. Les exercices de flexion lombaire associaient flexions postérieures, postures genoux- thorax et quadruples flexions.

Les exercices généraux étaient le fait de séances de vélo stationnaire ou sur tapis roulant, de renforcement de la force et de la flexibilité des extrémités et de conseils afin d’éviter l’hyper extension du rachis lombaire. La physiothérapie était prescrite pour 6 semaines, avec 2 séances hebdomadaires, sous la surveillance d’un physiothérapeute licencié. Les patients en médecine physique avaient la possibilité, tout au long de l’essai, de passer à l’option chirurgicale. Le principal critère retenu a été le niveau d’activité physique à 2 ans, établi en fonction du Short Form -36 Health Survey (SF- 36) par des examinateurs en aveugle. Il a été procédé à des analyses intermédiaires ainsi que de sous groupes en fonction du sexe.

Le recrutement s’est fait entre Novembre 2000 et Septembre 2007. Sur 481 patients remplissant les critères d’éligibilité, seuls 169 ont été randomisés, 87 dans le groupe chirurgical et 82 dans le groupe physiothérapie. Les caractéristiques des participants étaient identiques hormis un âge plus jeune dans le groupe chirurgical (66,6 ans, SD: 10,5 vs 69,8, SD 9,00). Un peu plus de la moitié étaient des hommes et la cotation de la douleur par échelle visuelle numérique dépassait 7. Parmi les patients randomisés en chirurgie, tous, sauf 2, ont été effectivement opérés. Par contre, 47 des 82 malades (57 %) du groupe physiothérapie ont opté, durant l’essai, pour la chirurgie, le plus souvent dans un délai court, avant la 10e semaine. On n’a pu retrouver de différences avec ceux qui ont poursuivi le traitement de médecine physique, en dehors d’un niveau de douleur plus élevé et d’un moindre niveau éducationnel.

Pas de différence significative sur le score de fonction physique à 24 mois

L’amélioration moyenne du score de fonction physique a été de 22,4 (intervalle de à 95 % [IC] : 16,9- 27,9) avec la chirurgie et de 19,2 (IC : 13,6- 24,8) sous physiothérapie. En intention de traiter, il n’a été décelé aucune différence significative entre les 2 bras à 24 mois (différence de 0,85 (IC :-7,9 à +9,6). L’évolution à 2 ans a été favorable chez 61 % des malades opérés d’emblée, chez 55 % de ceux qui avaient opté dans un second temps pour la décompression chirurgicale et chez 52 % de ceux traités par physiothérapie. L’analyse de sous groupes n’a montré aucune différence d’évolution selon le sexe des participants. Trente-trois complications ont été à déplorer en cas d’intervention, essentiellement des retards à la cicatrisation et des infections du site opératoire. Dans le groupe traité par médecine physique, 9 cas d’aggravation de la symptomatologie douloureuse ont été constatés. Enfin, durant l’essai, plus de 50 % des participants des 2 bras ont dû recourir à des traitements antalgiques complémentaires.

Ainsi donc, cette étude multicentrique révèle que, chez des patients porteurs d’un LSS, candidats à la chirurgie et ayant, par avance donné leur accord pour une intervention chirurgicale, il n’a été retrouvé, à 2 ans, aucune différence entre laminectomie décompressive et physiothérapie dans l’évolution de la douleur et de la gêne fonctionnelle. Dans les 2 groupes, l’amélioration, quand elle s’est dessinée, a débuté vers la 10e semaine, puis a progressé jusqu’à la 26e avant de se maintenir en plateau jusqu’à 2 ans. Dans l’interprétation de ces données, il faut rappeler que, sur 481 patients éligibles, 312 (65 %) avaient refusé d’entrer dans le protocole, limitant d’autant toute tentative de généralisation de ces résultats. Il faut aussi mentionner que ce travail n’a pas comporté de groupe de contrôle.

En conclusion, le gain fonctionnel à long terme dans les LSS accessibles à la chirurgie paraît identique après laminectomie chirurgicale et traitement de médecine physique bien standardisé mais il faut signaler que nombre de patients, dans l’une et l’autre option thérapeutique n’ont pas été améliorés. Des travaux ultérieurs restent donc nécessaires pour tenter d’expliciter les causes de succès ou d’échec des 2 stratégies de traitement. A ce jour, les patients et les médecins référents doivent s’efforcer de prendre conjointement des décisions thérapeutiques bien réfléchies, après connaissance de l’ensemble des données concernant les options chirurgicales et non chirurgicales.

Dr Pierre Margent
Références
Delitto A et coll. : Surgery versus Non surgical Treatment of Lumbar Spinal Stenosis. Ann Intern Med., 2015; 162: 465- 473.

Repris par JIM.FR le 17 avril 2015 – Copyright © http://www.jim.fr