Dans un article du Monde « Journal de crise des blouses blanches » en date du 16 avril 2020, le journal relaie le constat d’une infirmière concernant l’aggravation rapide de l’état de santé des patients âgés à domicile faute de pouvoir être pris en charge par des kinésithérapeutes.

Or, force est de constater que la profession des kinésithérapeutes, bien malgré elle, a été mise totalement hors-jeu. Bien que la permanence des soins soit un devoir de chaque professionnel de santé, les kinés se sont retrouvés devant le dilemme suivant, continuer la prise en charge sans protection, risquer la contagion pour eux-mêmes, leurs proches, et leurs patients, en devenant eux-mêmes vecteurs du virus ou s’abstenir d’intervenir. Avec la conséquence évidente de laisser leurs patients âgés dans une absence de stimulation qui les entraîne rapidement vers une baisse de leurs capacités physiques pouvant devenir irréversible.

La poursuite des soins à domicile a pourtant été encouragée par le Conseil de l’Ordre, mais faute de disposer de moyens de protection adéquats, beaucoup de collègues kinésithérapeutes se sont abstenus.

Le même risque d’affaiblissement et de glissement définitif dans la dépendance guette les résidents des EHPAD. Beaucoup de directions de ces établissements ont décidé – de leur propre initiative et de leur responsabilité – d’interdire aux kinésithérapeutes libéraux de visiter leurs patients, entraînant de fait l’aggravation de leur état.

Dans les hôpitaux même, les kinésithérapeutes libéraux n’ont pas été autorisés à venir renforcer leurs collègues, alourdissant en conséquence le travail des infirmières et aides-soignantes. En effet les kinésithérapeutes hospitaliers se sont retrouvés confrontés à une augmentation exponentielle des besoins de manutention, de luttes contre les rétractions musculaires, de prévention des escarres, des mobilisations et retournements des patients sédatés, des premiers levers, de la réadaptation des troubles de la déglutition et de la respiration, de la parole, des incapacités motrices après sédation et des douleurs physiques en post-réanimation, ce qui constitue le rôle propre des kinésithérapeutes.

Ces mêmes infirmières et aides-soignantes, si la situation avait été différente, auraient pu bénéficier elles-mêmes de soins sur leurs lieux de travail. Les horaires sont en effet interminables, le port de charges lourdes et les gestes de manutention épuisent les dos et cisaillent les épaules.

Beaucoup d’hôpitaux ont préféré faire appel à des étudiants en kinésithérapie, au mépris du principe de précaution et de la loi, à savoir qu’un étudiant ne peut toucher un patient qu’à partir de la quatrième année et sous réserve de la présence d’un référent diplômé à ses côtés … Pourquoi brader ainsi la qualité des soins alors que tant de kinésithérapeutes auraient pu intervenir ?

De l’autre côté de ce mur de verre qui sépare les hospitaliers des libéraux, il y a des professionnels disponibles, volontaires, bien formés, aguerris et sérieux. Si tous n’ont pas passé plusieurs années à l’hôpital, tous maîtrisent leur métier, le terrain, le travail avec les personnes âgées, l’obligation de moyens.

Ces kinésithérapeutes libéraux se sont portés volontaires, souvent en s’inscrivant sur plusieurs sites différents, parfois en appelant directement les Services des Ressources Humaines des hôpitaux. Et les forums regorgent de témoignages s’étonnant que « personne ne m’a jamais rappelé », ou déplorant « qu’on m’a dit ne pas avoir besoin de mes compétences », etc.

D’où peut bien venir ce problème ? Entre d’un côté des acteurs de terrain qui témoignent des besoins importants en Ressources Humaines et en matériel et de l’autre côté des volontaires libres immédiatement. Serait-il possible que la communication entre ces deux espaces ne fonctionne pas ? Qui est en charge des recrutements et des affectations de personnel, ce sont bien les équipes administratives des établissements de soin. Il y a donc un problème, dont il conviendrait de chercher la cause du côté des directions d’établissement.

Pourquoi a-t-il fallu que des Responsables administratifs augmentent ainsi la charge de travail des infirmières et aides-soignantes en leur demandant d’assumer, en plus de leurs taches habituelles déjà nombreuses en période normale et aggravées en cette période de crise, le travail des kinésithérapeutes hospitaliers et parallèlement en ne mettant pas en place les soins indispensables pour les aider à tenir face à cette charge de travail ?

Pourquoi des responsables d’EHPAD ont-ils préféré laisser dépérir et glisser dans la dépendance leurs résidents plutôt que de prêter une blouse et des masques aux kinésithérapeutes qui les prenaient en charge avant le démarrage de la pandémie ?
Pourquoi, face à la pénurie de Ressources Humaines constamment affichée dans la presse, personne n’est-il venu chercher les centaines de volontaires kinésithérapeutes libéraux, inscrits sur les très nombreux sites que sont Renfort Covid, Medgo, Réserve Sanitaire, monkine-idf etc … Il suffit de les consulter pour mesurer le nombre de volontaires prêts à s’engager et à mettre leur compétence au service du bien commun.

Le constat est donc affligeant, des volontaires, nombreux, motivés, frustrés, qui assument l’absence de ressources où les a plongés la décision de fermer leur cabinet au regard du principe de précaution. Et en parallèle, des équipes soignantes de terrain débordées qui appellent à l’aide. La première des aides ne serait-elle pas de faire en sorte que chaque service dispose du personnel nécessaire, à savoir, aides-soignantes, infirmières, mais aussi kinésithérapeute pour assumer, ensemble, l’intégralité de leur rôle et soulager la charge des autres professionnels ?

Cette situation pourrait se schématiser sous la forme d’un nœud papillon (∞) d’un côté un besoin en Ressources Humaines criant, de l’autre des Ressources Humaines volontaires, disponibles et motivées. Comment se fait-il que les deux ne puissent se rejoindre ?

Comment se fait-il qu’aucun établissement ne fasse appel aux kinésithérapeutes ? Connaissent-ils le rôle des kinésithérapeutes dans les équipes pluridisciplinaires de soins ?

Plusieurs demandes de volontaires au sein de l’APHP ces dernières semaines appellent légitimement à se poser la question.

Que reste-t-il aux volontaires kinésithérapeutes ? … Faire du bruit à 20h et apporter leur soutien moral ? C’est déjà ça, évidemment, mais c’est vraiment maigre au regard de ce qu’ils auraient pu apporter sur le terrain …

Télécharger en pdf